vendredi 15 janvier 2016

la rencontre amoureuse !



Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent,
       éditions José Corti, 1981.


     Le concept de forme, ou de structure, peut s'étendre à l'étude des scènes de roman, comme dans Leurs yeux se rencontrèrent La scène de première vue dans le roman. Cet ouvrage est consacré à une scène clé, qui se trouve dans tous les romans. La scène de première rencontre est une forme fixe, liée à une situation fondamentale (d'ailleurs extra-littéraire). Elle déclenche un mouvement, une série de conséquences proches et lointaines, qui est la suite inéluctable de cet instant premier. Le code en est continu, résiste aux coupures historiques et culturelles, et le corpus presque infini. A partir de traits constants, Rousset a construit un modèle. Il isole trois concepts : l'effet, l'échange, le franchissement ; puis, par rapport à cette norme, les écarts. L'analyse des scènes vérifie la présence permanente de certaines caractéristiques : description du lieu, soudaineté, échange de regards, reconnaissance (platonicienne). On peut en déduire trois types de scènes, selon un jeu de combinaisons à trois termes : apparition, disparition de l'héroïne (ou du héros), quête ; apparition, conjonction, quête (recherche commune, menée par les deux héros réunis); combinaison des deux précédents : apparition-conjonction, quête commune, disparition (Héloïse). La place de cette scène varie, sa répétition également. Il faut aussi opérer un partage logique entre la mise en place et la mise en scène. La mise en place comprend les indicateurs de temps et de lieu, le portrait, le nom. La mise en scène organise les éléments dynamiques, qui relèvent des trois catégories, suivant que leur activité est interne, externe ou les deux, produisant l'effet (soudaineté, par exemple), l'échange, le franchissement (qu'on aurait pu appeler transgression). Ce schéma peut paraître sec ; lorsqu’il est nourri par l'interrogation des textes de soixante auteurs (de l'Antiquité à Proust), grecs, allemands, anglais, italiens, français et suisses (naturellement), il produit de multiples découvertes, au cours d'une délicieuse promenade anthologique. On ne pourra plus, désormais, expliquer une scène de rencontre sans ce livre, qui inaugure une discipline nouvelle : la scénologie? Il faut simplement prendre garde de ne pas confondre la littérature et la vie : davantage de caractéristiques techniques (longueur des scènes, étude des emplacements) auraient distingué ce livre d'un charmant « art d'aimer ».

I. Rencontres exemplaires

Théagène et Chariclée – Erec et Enide – Pantagruel – Les Confessions – Wilhelm Meister – L’Education sentimentale -Nadja
II. Construction d’un modèle
III. La Comédie humaine comme répertoire

IV. La soudaineté de l’effet
1. L’immédiateté :
a) fascination ; b) commotion ; c) mutation.
2. Le retentissement de l’effet
V. Destin, reconnaissance, sympathie
VI. Les modalités de l’échange
1. L’échange heureux : Le Capitaine Fracasse.
2. Les difficultés de l’échange :
La communication entravée : Mme de Lafayette.
L’échange différé : Stendhal (Lucien Leuwen).
L’échange divisé : Marivaux (La Vie de Marianne).
L’échange trompeur : Proust.
L’échange bloqué : Louvet (Faublas).
VII. Le franchissement
1. Le franchissement immédiat : Sylvie, Sodome et Gomorrhe.
2. L’exclusion du franchissement : La Vita nuova, Spirite, Le Garçon savoyard.

VIII. Ecarts et Transgressions

1. Rencontrer sans voir :
La vision anticipée : le portrait peint.
La vision refusée : femmes voilées.
La vision occultée : la nuit.
La vision retardée : l’écoute
2. L’annonce et l’attente : la pré-rencontre (Nodier, Zola, Proust, Mme de Staël).
3. Les récits parallèles : Delphine, Les heureux orphelins, La Bourse, L’Archéologue.
IX. " Lu dans un roman " ou le détour de la lecture.

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