II) La symbolique des lieux ( dans
la structure du roman )
A) Plassans : un passé entre
amis, à l’origine de sa vocation
La première
évocation du passé de Claude est faite avec Sandoz durant une séance de pose
effectuée dans l’atelier du peintre. Cette discussion analepsique (retour en
arrière), permet de présenter les comparses (amis) de Claude avant même l’entrée
en scène de Dubuche. Le collège, lieu de leur rencontre, inspire du dégoût, par
la façon dont il est décrit : « l’ancien couvent […] par ses
horreurs », p56. Il critique également, non sans un certain humour, les
enseignants, en utilisant un style beaucoup plus familier, et en rapportant
fidèlement les sobriquets de ceux-ci : « une chevauchée
lamentable (…) épluchures » p56. Zola procède ensuite à une énumération
des farces qu’ils avaient commises étant jeunes, avec de longues phrases
exclamatives. C’est durant cette époque, que se construit cette amitié
fusionnelle « les trois inséparables » ( p58), avec le goût de la
découverte et de la liberté : « ils couchaient au petit bonheur de la
route » ; « cette joie sans limite d’être seuls et d’être
libres ». Zola décrit un paysage de « liberté » et « de
vacances » p58, le trio sait pécher et chasser à l’âge de 12 ans.
L’auteur date leurs passions respectives à ce moment-là, le paysage provençal
étant une source d’inspiration pour Claude et Sandoz, qui s’improvisent acteurs.
Ces passions les lient et les différencient des autres élèves. Claude conserve
un lien important avec son collège : « les murs de l’atelier étaient
justement couverts d’une série d’esquisses, faites là-bas par le peintre (…)
C’était comme s’ils avaient eu, autour d’eux, les anciens horizons, l’ardent
ciel bleu de la campagne », et Zola relate la beauté incomparable du
paysage : « la gorge des Infernets ouvrait son entaille béante (…)
mares de sang » ( p61).
Zola raconte
l’enfance très heureuse des trois amis inséparables, dans un cadre leur offrant
beaucoup de liberté, ce qui est symbolique, d’où sa passion pour les paysages.
Le fait de côtoyer la nature au quotidien a éveillé leur créativité et leur a
permis de vivre leur passion du dessin et de l’écriture, tout en conservant un
désir ambitieux et de fuite vers Paris.
B) Bennecourt : l’utopie du lieu paradisiaque qui tourne en désillusion
Bennecourt
est un lieu très symbolique dans le récit : il représente le paroxysme de
l’amour qui unit Claude et Christine.
Bennecourt,
petit village de Normandie à proximité de la Seine, est le cadre de leur lune
de miel. Cela contribue à leur amour « tout de suite, leurs lèvres
s’unirent dans un baiser avide » p170 et à leur bonheur :
« Ah ! Que ce serait bon de s’aimer là, au fond de ce trou, si loin
des autres ! ». Zola décrit un confort démesuré, une maison trop
large et un jardin constituant un cadre paradisiaque « c’était une grande
lanterne de maison (…) enclos d’une haie vive » p171. Cette maison est l’utopie
d’une terre promise « C’était le bout du monde qu’ils cherchaient l’un et
l’autre » avec une connotation protectrice « un gazon d’une douceur
de velours », « un abri de feuilles » p 170. Le couple vit une
idylle parfaite, dans une félicité parfaite « mais la désillusion restait
sans prise ». Ils vivent leur passion , on retrouve ici l’envie de découverte
qui animait Claude durant son enfance avec l’achat d’une
barque : « naviguant, découvrant des terres nouvelles » p174.
L’amour occupe une place importante dans leur vie, la peinture est reléguée au
second plan : « elle-même le regardait avec un sourire gêné, quand
elle le voyait n’emporter ni toile ni couleurs », l’ennui est écarté
« aucun besoin d’une distraction, d’une visite à faire ou à recevoir ».
Cependant l’ennui vient, deux ans et demi après la naissance de Jacques, et, du
fait des humeurs noires de Claude, le paysage idyllique s’enlaidit à vue d’œil,
le paysage a perdu tout son charme : p197. Cet ennui provenant du souvenir
de Paris dans l’esprit de Claude après la visite de Sandoz. Cette monotonie se
traduit dans le caractère du peintre « Un des premiers soirs de pluie,
Claude s’emporta, parce que le dîner n’était pas prêt », « il gifla
Jacques » et ils finissent par quitter ce village, où vivait leur couple
dans une quiétude parfaite.
Ce lieu est
symbolique car il symbolise l’amour réciproque de Claude et de Christine :
c’est le paroxysme des sentiments qui les unit : la famille est heureuse
et en sécurité, un enfant nait de leur union ; et le fait que Claude cède
à sa passion pour Paris qui la conduit à quitter Bennecourt, inaugure la
rupture de la réciprocité de leur amour et le début de la passion de Claude
pour sa nouvelle femme : la peinture.
Conclusion :
L’importance
des lieux dans le roman se manifeste par le rôle décisif que ceux-ci jouent
dans la destinée de Claude. Par leurs différences, ils marquent l’évolution des
caractères et des sentiments des deux protagonistes, Claude mais aussi Christine.
En effet, dès lors que Claude se trouve être à la campagne, il se trouve comme
libéré de ses ambitions démesurées de succès et des salons. Au contraire, dès
qu’il se trouve à Paris et partage sa vie avec Christine, il retombe dans ses
passions dévastatrices qui le conduiront à sa propre perte. Bennecourt
constitue le point culminant de son bonheur ; le lecteur comprend alors
que lorsqu’ils abandonnent leur villa, rien ne sera plus comme avant.
Tout comme
dans la Bête Humaine, Zola manie avec habilité le jeu subtil de la
passion : en effet, dans les deux romans se sont constitués des
trios ; pour la bête humaine, Séverine, son mari et Jacques et pour
L’œuvre, Claude, Christine et la femme du tableau. De fait, la comparaison est
frappante : dans chacun des deux récits, un élément du trio est mis à
l’écart et cette absence conduira à la déchéance d’un des trois personnages du
trio.
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