Le personnage de Sandoz
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De quelle
manière Zola utilise-t-il Sandoz pour
présenter un double de lui-même? Quelles sont les caractéristiques de ce dernier ?
Nous
étudierons en premier lieu la vie de Sandoz avant d’analyser son évolution à
travers le roman puis nous nous demanderons si Zola dresse une réelle
autobiographie.
I) La vie de Sandoz
« Je me
prendrai moi-même pour me mettre dans la bande, un journaliste, un romancier »
(Zola, Dossier préparatoire). Zola choisit de se dévoiler à travers le
personnage de Sandoz, créé à partir des sonorités de son propre nom et celui de
son amie George Sand.
Tout au
long du roman l’Œuvre, on remarque
que le personnage de Sandoz ressemble beaucoup à Zola. Il s'est plus ou moins
peint lui-même sous les traits de Sandoz. En effet, Sandoz a suivi le même
itinéraire que Zola, la même ascension sociale et partage les idées artistiques
de Zola.
A) Son enfance
À la page 52, Zola nous livre une description
physique de Sandoz : "un garçon de 22 ans très brun à la tête ronde
et volontaire, au nez carré, aux yeux doux dans un masque énergique, entouré
d'un collier de barbe naissante". On retrouve dans l’Album Zola de la Bibliothèque de la Pléiade plusieurs portraits de
Zola étant jeune qui illustrent ces lignes. De plus, d'après le portrait de
Zola à 22 ans peint par Cézanne et la description physique de Sandoz, on remarque
la grande ressemblance physique entre ces deux personnages.
De plus, les vies de Sandoz et de Zola sont
pratiquement calquables. Sandoz et Zola sont tous deux originaires de Provence.
Zola a passé son enfance à Aix-en-Provence, tandis que Sandoz l’a passée à
Plassans, une ville imaginaire que Zola situe en Provence et qui ressemble
beaucoup à Aix. Le groupe d’amis de Sandoz rappelle beaucoup celui de
Zola : « Au collège de Plassans, dès leur huitième, il y avait eu les
trois inséparables, comme on les nommait, Claude Lantier, Pierre Sandoz et
Louis Dubuche » (p. 54). Claude Lantier renvoie à Paul Cézanne, un ami
d’enfance de Zola depuis l’âge de sept ans, et Dubuche nous fait penser à
Jean-Baptistin Baille, un grand peintre du XIXème siècle, également
ami d'enfance de Zola. Ce trio d’artistes étaient appelés « les trois
inséparables », qui est la formule que Zola emploie pour décrire le groupe
d’amis de Sandoz. De plus, une autre camarade de Sandoz, Pouillaud, ressemble
fortement à Louis Marguery, un condisciple de Zola au Collège Bourbon.
Pouillaud et Marguery ont tous deux repris le métier de leur père :
« Il finit son droit, il reprendra ensuite l’étude d’avoué de son père»
(p. 58).
Au cours du chapitre 2, Zola raconte l’enfance
de Claude en Provence et développe la relation fusionnelle qu’il entretient
avec ses amis. Seulement, grâce à des ouvrages comme Emile Zola, Notes d’un ami de Paul Alexis, qui est tissé de
souvenirs confiés directement par Zola à son biographe, nous savons que Zola
dévoile ici ses propres souvenirs d’enfance à travers le personnage de Sandoz.
Ainsi, lorsque l’auteur écrit que «tout petits, dès leur sixième, les trois
inséparables s’étaient pris de la passion des longues promenades» (p. 58),
c’est l’enfance de Zola qui est racontée à travers celle de Sandoz.
Zola et
Sandoz se ressemble aussi de par leur situation familiale. Le père de Sandoz
était un espagnol réfugié en France, où il travaillait dans une papeterie. Cela
peut nous faire penser au père de Zola qui était un émigré italien ingénieur en
travaux publics. Tous deux ont perdu leur père très jeune, laissant leur mère
dans une situation financière très difficile : "le père de Sandoz
[...] était mort [...] laissant à sa veuve une situation si compliquée" (p.
55).
Sandoz est
le premier à partir à Paris, suivi de Claude et Dubuche. Lorsque les trois amis
se retrouvent, ils essaient de reprendre les promenades de leur enfance
« depuis que les trois inséparables avaient réalisé leur rêve de se
retrouver ensemble à Paris […] ils essayaient bien de recommencer les grandes
promenades d’autrefois» (p. 62). La situation est la même pour Zola qui quitte
Aix à la fin de ses études mais retrouve ensuite Cézanne et Baille à Paris,
avec qui il retrouve son ancienne complicité.
Zola
s'exprimant à propos de L'Œuvre dit
ces quelques mots : "Ma jeunesse au collège et dans les champs. Baille,
Cézanne. Tous les souvenirs de collège : camarades, professeurs, quarantaine,
amitiés à trois. Dehors, chasses, baignades, promenades, lectures, familles des
amis. A Paris, nouveaux amis. Arrivée de Baille et de Cézanne. Nos réunions du
jeudi. Paris à conquérir, promenades. Les musées.". Par cette citation,
nous nous rendons bien compte de la similitude des vies de Sandoz et de Zola.
B) Son caractère
Volontaire
et énergique
Sandoz est décrit comme un « garçon de
vingt-deux ans, très brun, à la tête ronde et volontaire, au nez carré, aux
yeux doux, dans un masque énergique, encadré d’un collier de barbe naissante ».
Les qualificatifs «volontaire » et « énergique » que Zola associés dans cette
citation au visage de Sandoz sont tous deux mélioratifs et ont pour objectif de
poser le caractère du romancier.
Ambitieux
et travailleur
Se donnant à voir sous les traits de Sandoz,
Zola campe l’image d’un écrivain fortement ambitieux. Nous pouvons le voir
lorsque Sandoz expose son projet d’écriture (cf. III/ B/ Les
Rougon-Macquart) : « Alors, j’ai trouvé ce qu’il me fallait, à moi. Oh!
pas grand-chose, un petit coin seulement, ce qui suffit pour une vie humaine,
même quand on a des ambitions trop vastes... […] Hein? tu comprends, une série
de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en
ayant chacun son cadre à part, une suite de romans à me bâtir une maison pour
mes vieux jours, s’ils ne m’écrasent pas! ». Dans cette citation,
l’expression « oh! pas grand-chose » sonne comme un paradoxe en écho aux
«ambitions trop vastes » et aux « quinze, vingt bouquins ». Plus avant dans le
roman, Zola se décrit sous les traits de Sandoz comme « épris des besognes
géantes, [ayant] eu le projet d’une genèse de l’univers » et évoque déjà « sa
vaste ambition ». Ces éléments nous montre donc que Sandoz est un personnage
ambitieux.
De plus, Sandoz est travailleur. Il partage
cette facette de sa personnalité avec Zola dont la devise était «nulla dies
sine linea », ce qui signifie « pas un jour sans une ligne ». La dernière
phrase qu’il prononce dans le roman est « allons travailler », ce qui
montre que Zola a voulu mettre en avant ce trait de caractère.
Amical
Sandoz reçoit tous les jeudis ses amis
artistes comme Zola le faisait dans sa propriété de Médan (cf. II/ C/ Les
jeudis soirs). Le premier repas organisé par Sandoz se déroule rue d’Enfer en
juillet 1862, dans un « petit logement au 4ème [qui] se composait d’une salle à
manger, d’une chambre à coucher et d’une étroite cuisine». Sandoz est encore
célibataire, le repas (une soupe à l’oignon, de la raie, un gigot, un morceau
de brie, du vin) est simple, le vin n’est pas très bon, on manque de pain pour
la soupe à l’oignon. Le second repas aux Batignolles, rue Nollet, nous fait
voir Sandoz dans un petit pavillon avec jardin, «vaste à côté des greniers de
jeunesse, égayé déjà d’un commencement de bien-être et de luxe». À
l’amélioration des conditions de vie s’ajoutent un menu nettement élaboré :
bouillabaisse (qui rappelle les attaches provinciales de Sandoz), civet de
lièvre, volaille rôtie et salade, biscuits. Cette fois-ci, en novembre 1866,
Pierre est marié à Henriette, et une bonne sert le repas. Ces changements sont
présentés comme le résultat des efforts de Sandoz. Le troisième repas qui nous
est rapporté dans L’Œuvre a lieu dix ans plus tard, en novembre 1876. Il
scelle l’achèvement de l’ascension de Sandoz (cf. II/ B/ L’ascension sociale de
Sandoz) : le couple dispose de tout un petit personnel à diriger (une
cuisinière, un valet de chambre), Sandoz reçoit en jaquette, Henriette en robe
de satin noire. Si, rue Nollet, cette dernière cuisine elle-même et accueille
les premiers invités avec un tablier blanc sur sa robe de popeline noire, rue
de Londres, Sandoz et elle ont du personnel de maison et ne servent plus des plats
communs ou provinciaux : rouget de roche grillés, filet aux cèpes, raviolis,
gélinottes, salade de truffes, caviar, kilkis, glace pralinée. Même si
seulement trois dîners du jeudi soir nous sont comptés au cours du roman, ces
réunions hebdomadaires persistent pendant toutes les années où se déroule l’action.
Elles sont le symbole de l’amicalité de Sandoz qui prend plaisir à recevoir ses
amis.
Claude
est très important pour Sandoz. Lorsque ce dernier accompagne son ami peintre
au Salon des Refusés pour y voir exposée Plein
Air, Zola nous raconte que Sandoz « se hâtait, dans une fièvre de
fraternité. Ce jour-là, il ne vivait que pour l’œuvre et la gloire de son vieux
camarade » (p. 146). Cette citation nous montre à quel point Sandoz est
attaché à son ami Claude.
De plus, le symbole même de la gentillesse de
Sandoz envers son ami Claude se traduit par le fait qu’il accepte d’être le
parrain de Jacques alors que le père de ce dernier à ignorer pendant longtemps
les demandes de visites de son vieil ami et que « cette belle amitié
semblait morte » (p. 178). Tout au long du roman, Sandoz pardonne à Claude
ses infidélités (cf. II/ A/ Les occurrences de la présence de Sandoz) et reste
présent pour soutenir son ami. Ainsi, c’est lui qui s’occupe de son office funèbre
malgré les hauts et les bas qu’a connu leur amitié. Zola fait de lui-même un
portrait flatteur, de l’ami parfait.
D’autres citations qui illustrent l’amicalité
de Sandoz :
« Tout deux descendirent le quai, le
long des Tuileries, serrés l’un contre l’autre fraternellement ». « Bon ! bon !
finit par dire l’autre en souriant, on ne te voit plus, tu vis dans le mystère…
Va, mon vieux, je ne veux pas te gêner» (p. 166).
« Une
seule plaie secrète saignait au fond de cette joie. Après la fuite de Paris,
Sandoz ayant su l’adresse et ayant écrit, demandant s’il pouvait aller le voir,
Claude n’avait pas répondu. Une brouille s’en était suivie, et cette vieille
amitié semblait morte. » (p. 178).
Bienveillant
Comme nous
avons pu le voir précédemment, Sandoz est attentionné envers les personnes
qu’il aime. L’exemple du premier repas est à cet égard notable. Sandoz, qui
habite avec sa mère, va par trois fois au cours de la soirée l’embrasser. «
Lorsque Sandoz eut fait entrer les quatre autres chez lui, il disparut dans la
chambre de sa mère; il y resta quelques minutes, puis revint sans dire un mot,
avec le sourire discret et attendri qu’il avait toujours en sortant. […] Sans
doute, il était allé embrasser sa mère, dont il bordait le lit chaque soir,
avant qu’elle s’endormit», « Ne faites pas de bruit, ma mère dort». Zola
apparaît ainsi comme un fils dévoué et attentionné. De plus, il travaille
d’abord pour lui mais surtout pour sa famille : « Du lundi au samedi, Sandoz
s’enrageait à la mairie du cinquième arrondissement, dans un coin sombre du
bureau des naissances, cloué là par l’unique pensée de sa mère, que ses cent
cinquante francs nourrissaient mal». Enfin, lorsque Sandoz croise Claude en
compagnie de Christine pendant une promenade avec Dubuche, Sandoz empêche ce
dernier de déranger leur ami : « Comme [Christine] se serrait à son
bras, et qu’ils approchaient du pont des Arts, [Claude] tomba sur Sandoz et
Dubuche. […] Dubuche [fit] un mouvement vers lui ; mais déjà Sandoz le
retenait, l’emmenait. » (p. 130). Nous remarquons que Sandoz connaît assez
bien Claude pour anticiper ces réactions. Par la suite, Sandoz dira à son
ami : « On ne te voit plus, tu vis dans le mystère… Va, mon vieux, je
ne veux pas te gêner » (p. 166). Il ne cherche pas à connaître les secrets
que Claude lui cache et respecte son silence. Sandoz est donc un personnage
bienveillant.
Passionné,
rêveur romantique
Depuis son enfance, Sandoz est passionné par
la littérature : « Sandoz avait toujours dans sa poche le livre d’un poète
» (chapitre 2),"Et nos tendresses, en ce temps-là, étaient avant tout les
poètes... nous avions des livres dans nos poches...Victor Hugo régna sur
nous... un de nous apporta un volume de Musset..."
Sandoz
apparaît aussi comme le fondateur du naturalisme : «Ah, que ce serait
beau, si l'on donnait son existence entière à une œuvre, où l'on tâcherait de
mettre les choses, les bêtes, les hommes, l'arche immense...bien sûr c'est à la
science que doivent s'adresser les romanciers, elle est l'unique source
possible ».
La part
autobiographique du personnage de Sandoz est sans doute la raison pour laquelle
il est aussi positif: son talent et son intégrité ne sont jamais remis en
cause. Il est le personnage de raison, celui qui semble avoir le plus de recul
sur la situation. C'est à travers ses yeux que l'on voit le plus souvent la
peinture de Claude, de la même façon que Zola est celui qui nous fait entrer
dans le monde passionnant de la bande d'amis. Leurs jugements sont souvent
similaires car tous deux auraient, par exemple, souhaité une orientation
artistique plus critique et réaliste. Tous deux sont atterrés par le fait que
l’impressionnisme est réduit à une mode extérieure et que les peintres se
laissent emporter dans un engouement général pour le symbolisme. Zola a
d'ailleurs toujours considéré ses amis comme les précurseurs imparfaits d'un
art à venir.
C) Son itinéraire
Après la mort de son père, la mère de Sandoz,
une bourguignonne, souffrait d'une paralysie lente; page 55 : "la mère de
Sandoz...souffrant d'une paralysie lente...", puis ne pouvant subvenir à
leurs besoins, Sandoz et sa mère sont montés à Paris afin que celui-ci trouve
du travail ; page 55 : "elle s'était réfugiée avec son fils, qui la
soutenait d'un maigre emploi", ceci fait encore écho à la vie de Zola qui
a lui aussi renoncer aux études et devint simple livreur chez l’éditeur
Hachette à Paris où il ne gagnait que soixante francs par mois pas même de quoi
survivre. Sandoz, lui, travaillait dans le Vème arrondissement où il était très mal payé : « du
lundi au samedi Sandoz s’enrageait à la mairie du cinquième arrondissement,
cloué là par l’unique pensée de sa mère, que ses cent cinquante francs nourrissaient
mal. » (p. 62).
Ensuite, Sandoz démissionna de son maigre
emploi pour le journalisme, tout comme Zola ; page 190 : "après avoir
donné sa démission d'employé, il s'était lancé dans le journalisme où il
gagnait plus largement sa vie ». Zola quitta la librairie Hachette et entra comme
courriériste littéraire à l’Evénement. A la suite de cette augmentation de
salaire, Zola quitta la rive gauche, comme Sandoz ; page 190 : " il venait
d'installer sa mère dans une petite maison des Batignolles". Tous deux
s’installèrent dans le quartier des
Batignolles.
A la page 220-221, Zola décrit la maison de
Sandoz, en donnant la description très exacte de son petit pavillon rue Nollet :
« une grande maison bâtie sur la rue, qui lui fit traverser trois cours ;
[…] il fila le long d’un couloir entre deux autres bâtisses, descendit un
escalier de quelques marches, buta contre la grille d’un étroit jardin : c’était
là, le pavillon se trouvait au bout d’une allée». Zola donne au chien de Sandoz
le nom de son propre chien qu'il eut en 1870 : "Bertrand" «Sacré
Bertrand, veux- tu te taire. » (p. 221).
La mère de Zola mourut en octobre 1880, et
celle de Sandoz en 1875, à l'automne également : « Sandoz eût un
grand chagrin. Sa mère mourut toute son existence fut bouleversée» (p. 349).
II) L’évolution de Sandoz à travers le
roman
A) Les occurrences de la présence
de Sandoz
Chapitre
1 : Sandoz n’apparaît pas.
Chapitre
2 : Sandoz rend visite à son ami Claude et parle de son œuvre avec lui.
Chapitre
3 : Premier dîner du jeudi soir chez Sandoz.
Chapitre 4 : Sandoz est absent. En effet,
il est remplacé par Christine qui devient la nouvelle amie de Claude avec qui
il passe tout son temps.
Chapitre 5 : Sandoz, en ami fidèle,
accompagne Claude voir son œuvre et les réactions qu’elle suscite au Salon des
Refusés.
Chapitre 6 : Sandoz est absent au début
du chapitre car Christine et Claude se sont retirés à Bennecourt. L’amitié
entre Claude et Sandoz connaît alors une rupture temporaire. Mais Sandoz rend
finalement visite au couple à Bennecourt après avoir été prévenu par Dubuche de
leur présence à la campagne.
Chapitre 7 : Deuxième dîner du jeudi soir
chez Sandoz.
Chapitre 8 : Sandoz retrouve sa
complicité perdue avec Claude à Paris. Il assiste à son mariage.
Chapitre 9 : Sandoz est étonné par le
grand tableau entrepris par Claude.
Chapitre 10 : Sandoz console Claude de
l’impopularité de son œuvre au Salon et des commentaires négatifs qu’il reçoit.
Chapitre 11 : Sandoz emmène Claude en
promenade dans Paris et à Bennecourt. Le troisième dîner du jeudi soir a lieu. Puis,
l’amitié entre les deux artistes s’évanouit.
Chapitre 12 : Sandoz s’occupe de l’office
funèbre de Claude.
Nous pouvons voir que les seuls chapitres où
Sandoz est absent sont les chapitres 1 et 4. Ce sont des chapitres dans
lesquels Claude ne côtoie que Christine. En effet, dans le premier chapitre,
Claude fait la connaissance de Christine et dans le quatrième, ils se lient
d’amitié l’un pour l’autre puis tombent amoureux. Ainsi, nous pouvons dire que
Christine « remplace » Sandoz dans le cœur de Claude à ces
moments-là. Ce dernier ne ressent pas la nécessité de voir son vieil ami.
B) L’ascension sociale de Sandoz
Sandoz
connaît une véritable ascension sociale tout au long du roman. Ce succès se
traduit dans tous les aspects de sa vie, aussi bien personnelle que
professionnelle. Certain contemporain de Zola compare alors Sandoz à une
légitimation de la réussite de son auteur.
Cette
réussite contraste alors avec la multiplication des échecs que connaît Claude
tout en les mettant en avant. Ainsi, le mariage heureux de Sandoz et Henriette
appuie le malheur que subit Christine et l’éloignement progressif entre Claude
et sa femme. De même, Sandoz, en exposant ses convictions à propos du mariage,
influe sur la relation de Claude et Christine. Pour Sandoz, le mariage est la
condition même du bon travail et de la besogne réglée et solide.
En outre,
les déménagements successifs traduisent un enrichissement et un
embourgeoisement de la vie de Sandoz. Sandoz déménage ainsi de la rue d’Enfer à
la rue Nollet. On remarquera le choix du nom des rues que Zola effectue ;
ainsi il Sandoz commence sa vie parisienne dans un appartement du quatrième
étage de la rue d’Enfer, traduisant les obstacles qu’il rencontre dans la
littérature puis, arrivant à les surmonter peu à peu, il emménage dans un
pavillon de la rue Nollet. Puis Sandoz connaît un véritable succès dans la
vente de ses livres et donc un enrichissement. Il déménage alors dans un vaste
appartement de la rue de Londres où l’écrivain mène alors à bien ses anciennes
ambitions romantiques. On remarquera également que lors de la dernière réception du jeudi Sandoz et
Henriette on eut les moyens d’engager du personnel pour s’occuper de la cuisine
et du service.
Cet
enrichissement et cet embourgeoisement contraste avec les difficultés que
rencontre Claude et renforce le mal-être qu’il ressent lorsqu’il habite à la
campagne.
Mais
l’opposition la plus marquante que Zola laisse transparaître à travers Sandoz est la confrontation de sa propre perception
artistique avec celle de Claude. En effet, Sandoz expose le combat qu’il mène
afin d’écrire un roman. Cette lutte est alors comparée de manière inconsciente
par le lecteur avec celle que mène Claude.
Sandoz
contribue ainsi à révéler le désespoir et le tragique de la situation de Claude.
C) Les jeudis soirs
Les jeudis soirs sont présents tout long de l’œuvre, ils représentent
les soirées de Médan organisées par Zola dans sa maison près de Poissy. Durant
ces réunions, Zola invite ses amis écrivains naturalistes à se soumettre
mutuellement leurs derniers écrits.
De même, lors des soirées du jeudi, Sandoz et ses amis discutent des
salons et de leurs différents points de vue artistiques. En effet, les jeudis
regroupent toute la bande originaire de Plassans ainsi que certains amis de
Paris. Symbole d’une jeunesse engagée, cette assemblée montre la réunion de
l’ensemble des milieux artistiques (peinture, musique, sculpture) autour de la
littérature représentée par Sandoz qui est alors le lien entre tous les arts. Zola
fréquentait le café Guerbois, foyer de l’avant-garde artistique et littéraire,
où il côtoyait des peintres comme Manet ou encore des critiques d’art et des
écrivains. C’est cette ambiance intellectuelle qu’il a voulu recréer par les
rencontres du jeudi soir chez Sandoz.
Au fur et à mesure de l’enrichissement de Sandoz, le lieu de réunion
change, la cuisine s’améliore et les femmes sont leur entrée parmi les convives
(d’abord Henriette puis Christine). En outre on assiste à un éloignement entre
les convives dont seul Sandoz semble exempt. De plus, bien qu'il soit du même
âge que ses invités, le paternalisme de Sandoz reste lui aussi inchangé. Ainsi
c’est au cours d’une des soirées du jeudi que Sandoz voit son idéal d’éternelle
amitié se briser en réalisant le fossé qui s’est peu à peu creuser entre ses
amis.
III) L’Œuvre,
un roman autobiographique ?
A) La lutte pour l’écriture
Le combat
de Zola pour la littérature est, comme tout artiste, semblable à un
acharnement, visant à atteindre l’idéal de l’œuvre parfaite qui ne semble
jamais se réaliser, donnant naissance à un grand désespoir, chez l’auteur comme
chez son personnage : « je pousse mes livres jusqu’à la dernière
page, […] moi que l’imperfection de mon œuvre poursuit jusque dans le
sommeil ! Moi qui ne relis jamais mes pages de la veille, de crainte de
les juger si exécrables, que je ne puisse trouver ensuite la force de
continuer ! »
Cependant,
cette souffrance que provoque la recherche de l’œuvre parfaite se fait
ressentir jusque dans le corps de l’auteur qui parle ainsi de l’accouchement
douloureux et du fardeau de l’écrivain qui donne naissance et vie à son
ouvrage : « il y en a, paraît-il, pour lesquels la production est un
plaisir facile, bon à prendre, bon à quitter, sans fièvre aucune […] Eh
bien ! Moi, je m’accouche avec les fers, et l’enfant, quand même, me
semble une horreur […] Quand il est fini, quel soulagement ! Non pas cette
jouissance du monsieur qui s’exalte dans l’adoration de son fruit, mais le
juron du portefaix qui jette bas le fardeau dont il a l’échine cassée. »
Zola parle
également, à travers Sandoz, d’une vie consacrée, non pas à sa famille mais au
besoin de créer encore et toujours : « plus un être n’existe en
dehors, ma pauvre femme n’a pas de mari, plus rien n’est à moi, l’œuvre commencée
est là qui me cloître». Il décrit aussi ce besoin d’écrire comme un cercle
vicieux et infini d’une impression d’échec : « ça recommence ;
puis ça recommencera toujours ; puis j’en crèverai, furieux contre moi,
exaspéré de n’avoir pas eu plus de talent, enragé de ne pas laisser une œuvre
plus complète, plus haute […] et j’aurai en mourant, l’affreux doute de la
besogne faite ; et ma dernière parole, mon dernier rôle sera pour vouloir
tout refaire».
La lutte
de l’auteur se termine dans un dernier cri de désespoir et
d’impuissance : « Ah ! Une vie, une seconde vie, qui me la
donnera pour que le travail la vole et pour que j’en meure encore ! »
B) Les Rougon Macquart
Comme le
reconnaît également Zola, Sandoz nourrit des ambitions démesurées. Il souhaite
en effet écrire une fresque de l’univers dans lequel il vit. Pas intimidé par
les nombreuses critiques qu’il reçoit en début de carrière, il souhaite
dépendre la psychologie de l’homme tout en fuyant ses premières influences
romantiques. Il commence alors le projet de d’une écriture en 3 phases (le
passé, le présent et l’avenir), mais arrête bien vite cette idée face aux
hypothèses qu’il doit formuler pour la phase de l’avenir.
Sandoz
formule alors ce qui sera l’œuvre de sa vie et la raison de son succès, lors
d’une discussion avec Claude. Il envisage alors de rédiger entre quinze et
vingt romans en développant au cours de cette série ses perceptions sur la
psychologie et la nature humaine. Mais à la différence de son premier projet,
il renforce l’importance du cadre et de l’époque de ses romans, il en vient
alors à expliquer les fondements du naturalisme et de la série des Rougon
Macquart.
On peut
alors rapprocher l’expression de Sandoz et celle de Zola. Sandoz dit ainsi au
chapitre 6 : « Je vais prendre une famille, et j’en étudierai les
membres, un à un, d’où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les
uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont
l’humanité pusse et se comporte… D’autre part, je mettrai mes bonhommes dans
une période historique déterminée, ce qui me donnera le milieu et les
circonstances, un morceau d’histoire…Hein ? tu comprends, une série de
quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en ayant chacun son
cadre à part ». De même, dans la préface de La fortune des Rougon, le premier livre de la série, Zola reprend
la même vision scientifique de ses personnages et la même importance du
milieu : « Je veux expliquer comment une famille, […] se comporte dans une
société, […]. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur. Je tâcherai de trouver
et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux,
le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme. Et quand je
tiendrai tous les fils, quand j'aurai entre les mains tout un groupe social, je
ferai voir ce groupe à l'œuvre comme acteur d'une époque historique, je le
créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j'analyserai à la fois la
somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble.
[…] Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée,
l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. »
C) Les intentions de l’aspect
autobiographique
L’œuvre
est un des rares romans à caractère autobiographique de Zola. Toutefois, Sandoz
n’a pas pour objectif de représenter un parfait double de l’auteur. Il dépeint
en effet une image méliorative de sa propre personne et de son ascension
sociale qu’il souhaite légitimer, à la suite du déclassement social qu’il a
connu dans sa jeunesse. Sandoz aspire aussi, tout comme Zola, à un tranquille
équilibre familial et bourgeois, tout au long de sa vie. De plus, Sandoz est le
reflet de la formidable activité de Zola. En effet, tous deux ne laissent pas
leurs états d’âmes freiner leur production littéraire, et s’extasient
volontiers, malgré tout, sur leur bonheur d’écrivains consacrés.
Depuis la
publication de L’Œuvre en 1886, c’est
le personnage de Sandoz, l’écrivain marié, gentiment moqueur avec Claude, mais
charitable envers toutes ses peintures ratées, qui semble figurer dans le roman
comme étant le double de l’auteur. Cependant, Zola avait pour objectif de
représenter, non pas sa vie et ses bons souvenirs d’enfance, mais plutôt ses
convictions et « la lutte de l’artiste contre la nature », à travers
Claude Lantier. Dans un de ses carnets d’enquête, Zola inscrit son objectif
autobiographique, qui sera exprimé aussi bien avec le personnage de Sandoz que
celui de Claude. Il dit ainsi : « En un mot, je raconterai ma vie
intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux ; mais je
grandirai le sujet par le drame ».
Zola se
met ainsi en scène à l’aide du
personnage de Sandoz. Celui-ci montre alors la perception de son auteur à
propos de sa propre vie et du milieu artistique dans lequel il évolue. A
travers Sandoz, Zola exprime pour la première fois son ressenti par rapport à
la difficulté d’écrire. Toutefois, Sandoz n’est pas une parfaite représentation
de Zola. Il est présenté comme une idéalisation traduisant un modèle pour tous
les artistes mais aussi des hommes.
Les
ambitions et le personnage de Sandoz lui-même réfèrent alors à une citation de Zola tiré de Mes Haines : « Une
œuvre d'art est un coin de la création vu à travers un tempérament. ».
Ainsi Sandoz permet à Zola d’exposer sa vision du milieu artistique mais
également sur de ses convictions littéraires.
Travail réalisé
par Clotilde Duffié de Tassigny, Mélanie Charbonnier, Salomé Lallée et Delphine
Tan.
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