Paris
Dans L’Œuvre
L’Oeuvre
de Zola est le quatorzième roman de la série des Rougon-Macquart. Publié en
1886, ce roman repose sur la fascination de Paris par son auteur qui y est
arrivé à l’âge de 18 ans pour ne plus jamais la quitter .Ce roman nous plonge
dans le Paris artistique du XIXéme siècle , et nous offre un tableau de cette
ville, où l’action se déroule essentiellement, à travers le personnage de
Claude Lantier .Ce peintre, héros du roman , qualifié dans l’Incipit «
d’amoureux du Paris nocturne » est en effet obsédé par cette ville qui le
mènera à sa perte. La ville lumière joue donc un rôle essentiel dans ce roman
source d’inspiration pour les artistes du Second Empire.
I Paris, un lieu de jeunesse, de bonheur et
d’inspiration
L’œuvre de Zola se déroule essentiellement
à Paris ; on peut ainsi suivre le quotidien d’un groupe d’amis artistes
dans la capitale sous le Second Empire.
En premier lieux l’auteur dresse le tableau
d’une ville associée au bonheur et à la jeunesse. Dès les premières lignes du
roman il dépeint Paris comme le rêve de tous les jeunes et notamment de ceux
qui viennent de province. Les trois compagnons Claude Lantier, Pierre Sandoz et
Louis Dubuche quittent en effet chacun à leur tour Plassans pour venir
conquérir la ville lumière. « C’était vrai depuis que les trois
inséparables avaient réalisé leur rêve de se retrouver ensemble à Paris pour la
conquérir ». Au fil de la lecture, Zola nous transporte dans un Paris
rayonnant où les jeunes artistes flânent, s’amusent, se retrouvent entre eux
comme le jeudi soir chez Sandoz ou encore régulièrement au café Baudequin. Dans
son œuvre le romancier nous offre la description détaillée des itinéraires des
promenades de la bande d’amis qui entretiennent
leur joie de vivre et leur vieille amitié. Au début du livre l’écrivain
donne à voir à son lecteur un Paris dynamique ; le
roman rappelle en effet un événement historique important qu’est
l’ouverture du Salon des Refusés par Napoléon III, en réaction au
mécontentement des artistes. Deux chapitres du roman sont consacrés aux salons,
d’abord le Salon des Refusés, avec l’exposition de Plein Air, puis le
Salon Officiel avec L’Enfant mort.
Ces évènements représentent l’aboutissement de l’œuvre de ces artistes.
Paris devient le rêve des artistes de ce roman et
leur source de talent.
Mais la capitale est avant tout au cœur de
l’inspiration de ses jeunes artistes. Le romancier donne en effet une dimension
vitale à Paris dans l’existence de Claude. C’est ainsi que le peintre établi à
Bennecourt depuis quatre ans ne rêve plus que d’y retourner malgré ses
contradictions : « Il frémissait, Paris l’appelait à l’horizon, le
Paris d’hiver qui s’allumait de nouveau […] Et, dans cette hallucination, dans
le besoin qu’il éprouvait de courir là-bas, il s’obstinait à refuser d’y aller,
par une contradiction involontaire. »
De plus,
dans le tableau qui achèvera sa vie, Claude prend modèle sur sa chère ville à
qui son cœur appartient. Il la considère comme sa muse et la contemple telle
que sa femme de jour comme de nuit. Il
est bien qualifié dans l’Incipit « en artiste flâneur, amoureux du Paris
nocturne. L’auteur consacre deux pages à décrire le nouveau tableau de
Claude : au premier plan le port de Saint Nicolas, puis au milieu la Seine
avec en second plan le pont des arts et encore derrière le pont neuf puis l’île
Saint Louis. Si l’hôtel de ville laisse la place à la Saint Chapelle ainsi qu’à
Notre Dame de Paris. Un touriste trouverait ainsi dans ce tableau les lieux
symboliques de la capitale.
En outre
Sandoz place aussi Paris en décor principal de sa série d’écrits. Chaque
quartier sert de toile de fond aux évènements qui s’y déroulent, et parfois
même pourrait passer pour quelques personnages.
Ainsi cette
ville représente non seulement l’inspiration de ces artistes mais également
leur force et leur passion. Elle est le lieu de leur inspiration mais elle les
marque également par les rencontres qu’ils font. Sa lumière, ses couleurs, son
architecture ainsi que son histoire nourrissent leurs âmes. C’est l’élément
principal qui porte Claude dans son éternel recherche de talent :
« Après le refus de son troisième tableau, l’été fut si miraculeux, cette année-là, que Claude
semblait y puiser une nouvelle force. » C’est bien entendu un été à Paris
qu’il passe, qu’il y trouve sa joie et son réconfort. Des relations qu’il va nouer c’est bien sûr
la rencontre de sa compagne, Chrisine, qui va marquer son destin. Lui, comme
les autres, tomberont amoureux de la ville tout en tombant amoureux dans
celle-ci ; associant le cadre et les personnes pour toujours dans leur
souvenir.
Cependant
malgré ses lumières, le Paris du XIXème siècle est aussi la prison de ce pauvre
Claude qui va s’y perdre jusqu'à se donner la mort ! « Claude ne
l’écoutait toujours pas, ce cœur de Paris l’avait pris tout entier ».
Certes elle fascine les artistes mais elle semble également les y enfermer
comme dans une cage. Après son échec cuisant au salon des refusés, Claude qui
tente de fuir Paris en s’installant à Bennecourt est malgré cela envahi par une
forte nostalgie, comme si sa mémoire était à jamais marquée par les sensations
qu’il avait éprouvées. A tel point que l’écrivain métamorphose cette ville
pleine de dynamisme et de vie en une cité mystérieuse et effrayante qui absorbe
et consume entièrement l’existence de ceux qui y ont vécus.
2) Le tragique dans l’œuvre
Claude Lantier, possède un talent pour la peinture
mais la réalisation de celle-ci est défaillante. Il tente désespérément de
réussir sa seconde œuvre : la vue de l’île de la cité mais ses échecs et
ses découragements le mèneront à la pendaison. Il connait bien Paris par ses
visites de la ville et ses déménagements, il a tout d’abord habité sur l’île de
la cité, puis dans deux logements différents dans l’actuel 8ème arrondissement.
C’est un « artiste flâneur de la ville ». Cependant Paris l’obsède et
devient une partie de lui-même qui le mène à commettre des erreurs fatales.
Paris devient donc un élément du tragique de l’histoire.
Tout d’abord, Claude est marié avec Christine et
possède un enfant. Cependant son amour pour sa femme est remplacé dans le texte
par son amour pour Paris. La ville décrite comme un personnage dont le
caractère s’intensifie en avançant dans le récit. Au début du roman, les
peintres et Claude sont des « amoureux du Paris nocturne » et ils
réalisent régulièrement des marches comme le montrent les premières pages où
Claude rentre à sa maison après une balade : « il s’était oublié à
rôder dans les halles ». L’incarnation de Paris est rendue possible par
les nombreuses descriptions de l’auteur ce qui le rend omniprésent et en particulier dans l’esprit de Claude. Paris
acquiert une vitalité et une apparence humaine : Claude décide
par la suite de peindre ses personnages nus sur son tableau représentant Paris
afin de montrer « la ville nue et passionnée, resplendissante d’une beauté de
femme ». Ainsi, Christine devient jalouse de l’amour éprouvé par son mari.
L’homme à qui elle consacre sa vie et un peintre dont la seule passion est
l’art et celui de peindre le Paris le plus réaliste possible. Christine est
donc reléguée au rang de second amour, tout comme leur fils. Elle cherchera à
se battre contre sa rivale comme le montre son anxiété à retourner dans cette
ville : « ce retour dans la ville de passion, où elle sentait une
rivale!» (Chapitre VI), ils ont habité hors de Paris pendant 3 ans et Claude
est attiré par la ville. Elle lui demande elle-même au chapitre XII: «elle est
ta femme, n’est-ce pas ? ». Paris devient un des protagonistes de
l’œuvre, sa personnification continue avec des éléments comme « Paris
s’endort dans sa gloire ». Ainsi Claude en vient à être totalement
amoureux de son Paris jusqu’à en délaisser sa femme, sa mort tragique est liée
à son incapacité à reproduire Paris de façon réaliste. A la fin du roman la
ville prend une tournure particulière : « ce Paris maudit ».
Christine craignait la ville de Paris, la voyait « menaçante et
dangereuse », prenant une fois encore des traits humains, Paris passe dans
le cœur de Claude d’un « rêve » à une « cité tragique » et
vole ainsi la place de Christine.
La vision de Paris dans l’œuvre permet de faire
avancer l’intérêt dramatique du roman, en effet une composition très structurée
se profile dans le roman. Elle apparaît tout d’abord par le ménagement d’effets
préparés à l’avance comme par exemple le spectacle du premier chapitre offert à
Christine par Paris et la Seine pendant l’orage où des grues immobiles évoquent
dans son esprit les bras d’une potence ce qui préfigure la pendaison de Claude
causée en partie par l’obsession du peintre par ce paysage. De plus la
technique zolienne de la répétition est très utilisée permettant de présenter
le progrès dramatique : le quai des Ormes apparait 4 fois, La description
de Paris à quatre heures est répétée 5 fois et celle de la pointe de la cité 4
fois. Et enfin nous pouvons noter que l’œuvre s’ouvre sur un élément spatial
récurrent par la suite : les ponts de Paris. L’histoire de Claude et
Christine est jusqu’à la fin liée à des ponts : si Christine interdit tout
d’abord à Claude de la raccompagner au-delà du pont Louis-Philippe, elle
devient ensuite plus indulgente mais l’arrête toujours avant le Pont Royal.
Surtout c’est sur un pont, le pont des Saints Pères (actuel pont du Carrousel)
que Claude est empoigné par le spectacle du cœur de Paris dont la volonté de
rendre la vue réaliste et la hantise de ce pont le mèneront au suicide.
L’œuvre se déroule en grande partie à Paris
(excepté 3 ans à Bennecourt), ainsi les activités de la ville permettent à
l’intérêt dramatique du roman de progresser. Les Salons où Claude est
constamment refusé sont des raisons de son désespoir, son unique réussite au
salon des refusés est finalement un échec. De plus la population de Paris comme
les revendeurs d’art, le jury des salons et le public l’exaspèrent trouvant sa
peinture médiocre car trop éloigné de l’habituel romantisme. Ces éléments
contribuent au tragique du roman mais les artistes sont décidés à conquérir
Paris, désir matérialisé par leurs promenades : « marche libre d’une
horde partie en guerre ». De plus, comme souvent chez Zola, les
personnages se définissent par les lieux qu’ils occupent, les déménagements des
uns et des autres (3 fois pour Claude et 3 fois pour Sandoz dans Paris)
matérialisent leurs parcours : Fagerolles s’installe dans un hôtel de
l’avenue de Villiers, le quartier des parvenus sous le second Empire, tandis
que les déménagements successifs de Claude dans des logements où l’atelier
(lieu où l’artiste s’occupe de Paris) prime sur sa vie de famille montrant les
priorités de l’artiste. En effet la famille habite des appartements de plus en
plus petit pour des ateliers de plus en plus grands jusqu’au dernier où les
trois personnages vivent dans l’atelier même : rue Tourlaque, « halle
de 15m sur 10 qui ne leur donnait qu’une pièce, un hangar de bohémiens faisait
tout en commun » ce qui contribue fortement au tragique de l’œuvre.
3) Paris un élément du naturalisme
L'Oeuvre est défini comme un roman
naturaliste. Zola est en effet le chef de file de ce mouvement, né vers le
milieu du XIXème siècle. Il s'agit d'une amplification des idées du réalisme,
courant qui consiste à représenter le plus fidèlement la réalité, à adopter une
attitude presque scientifique devant la vérité.
Le naturalisme se caractérise par de
nombreuses descriptions très riches et détaillées. En effet ici, les passages
descriptifs se retrouvent quasiment à chacune des pages du roman. On a un
nombre incalculable de noms de rues ou de bâtiments qui sont évoqués, comme par
exemple, seulement aux pages 126-127 du chapitre IV, on peut relever : l’île
Saint-Louis, l'Hotel de Ville, l'Estacade, le Jardin des Plantes, Notre-Dame,
Passy, le Pont-Neuf,... Tous ces lieux
de Paris sont cités dans le but d'intégrer le plus possible le lecteur à
l'histoire, qu'il puisse situer exactement où se passe l'action. Il existe
aussi une volonté de ne rien omettre, de décrire une ville moderne pour que les
contemporains de l'auteur puissent s'y reconnaître. Lors des promenades de
Claude notamment, on peut observer une accumulation de noms de rues, toujours
dans ce même objectif de vision naturaliste, par exemple page, 83, dans le
chapitre III : « Après avoir descendu la rue du Four, elle s'était
ruée à travers la place Gozlin et elle se jetait dans la rue de l'Echaudé.
(...) Rue Jacob, la débâcle devint telle, au milieu de cris si affreux, que des
persiennes se fermèrent. Comme on entrait enfin rue Bonaparte(...) ».
D'autre
part, on constate que les éléments de la ville sont présentés tels qu'ils
sont ; dans l'incipit par exemple, on a : « des vieux hôtels
rangés devant la Seine », « le grand air triste des antiques façades »,
… Les adjectifs qui qualifient ces lieux de Paris ne sont pas mélioratifs, et
peuvent même, tout au long du roman, être réellement dépréciatifs.
Les descriptions très précises de
Paris ont également un intérêt historique. En effet, c'est sous le Second
Empire que le baron Haussmann a effectué ses grands travaux, et la série des
Rougons Macquarts illustre bien tous les changements et l'évolution de la ville
de Paris grâce à ces aménagements. Cela
permet également de mieux nous rendre compte de comment était Paris à l'époque
de Zola.
Le livre
comporte très peu d'indications de temps, qui sont pourtant nécessaires pour
inscrire l'histoire dans une optique de naturalisme. On ne peut se référer qu'à
la création du Salon des Refusés par Napoléon en 1863. Ce manque de dates est
ainsi compensé par les nombreuses indications spatiales qui décrivent les
différents lieux de Paris.
Dans l'Oeuvre, c'est au
milieu artistique que Zola s'intéresse. Les descriptions des différents
quartiers et lieux de la ville sont faites du point de vue des artistes de
l'époque. Cette manière de voir la capitale renforce donc encore plus l'aspect
naturaliste de l'histoire. Pour certains lieux, comme l’île de la Cité, il
s'agit même de comment Claude les voit et veut les peindre. On a alors
l'impression de réellement entrer dans la peau du personnage . Cela permet de
nous rendre encore mieux compte de la condition sociale des artistes.
De plus, on peut dire qu'il s'agit
d'une véritable enquête sur le monde de l'art au XIXème siècle. Les lieux
évoqués comme les bords de Seine, l’île Saint-Louis ou la butte Montmartre sont
en effet des lieux fétiches des peintres comme Cézanne ou Monet.
Paris
est la ville de Zola, puisque comme Claude, c'est un amoureux de la ville
lumière. Il est intéressant de noter qu'au début de sa carrière, l'auteur
habitait dans des mansardes, d'où il apercevait les toits de cette ville qui
s'étend à perte de vue. C'est surtout pour cela qu'il a choisi de placer son
histoire dans un cadre parisien, parce que c'est une ville qu'il connaît très
bien et qu'il aime. Étant lui-même artiste, il a pu rendre compte des émotions
et des sentiments que provoquaient cette ville pour lui en les faisant passer
pour ceux de Claude. Cette vision très claire de l'impact de la capitale
participe à renforcer le procédé naturaliste employé dans l'Oeuvre.
Ainsi l’auteur confère à la ville
de Paris une personnalité lyrique et y fait évoluer les personnages de son
roman. Il le fait cependant avec beaucoup d’objectivité en tant que chef de
file du naturalisme. Zola cherche donc à transmettre au lecteur à l’aide du
réalisme une vision attractive et destructrice de la capitale qui met en valeur
sa tragédie.
Le cadre parisien a été repris par Zola avant
et après l’Œuvre. Il y place en effet l’Assommoir et donne donc avant l’Œuvre la
perspective d’une ville qui inhibe ses habitants. On y découvre la déchéance
lente mais rapide des personnages de l’intrigue qui cependant évoluent
seulement dans la ville.
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