I. Les grandes étapes du mouvement et les parallèles avec le
roman
A) le personnage principal,
figure de réels peintres impressionnistes
Jusqu'au début du XIXè siècle, l'art pictural officiel en
France est dominé par l'Académie royale de peinture et de sculpture, qui fixe les règles du bon goût.
Au début du XIXè siècle, William Blake ou Francisco de Goya
et même Eugène Delacroix avaient déjà posé les bases d'une nouvelle façon de
peindre. La technique de peinture impressionniste fut inventée au cours de
l'été 1869 quand Renoir et Monet peignirent respectivement La Grenouillère et
Bain à la Grenouillère sur l'île de Croissy.
Avec l'invention du tube de peinture souple à partir de la moitié du
XIXe siècle, les peintres parisiens sortent des ateliers pour peindre en plein
air et pour saisir l'instant, la lumière. Le développement de la technique
photographique à la même époque remet en cause ce qui jusqu'alors avait été
l'une des fonctions principales de l'art, la représentation fidèle de la
réalité. Cela amène donc les impressionnistes à explorer d’autres sujets et
d’autres façons de peindre qui privilégient la vision de l'artiste, son
impression face au réel et non sa description du réel. Influencés notamment par
le réalisme des œuvres de Gustave Courbet, ces artistes privilégient les
couleurs vives, les jeux de lumière et sont plus intéressés par les paysages ou
les scènes de la vie de tous les jours. Soudés par les critiques parfois très
violentes subies par leurs œuvres, ainsi que par les refus successifs du Salon
de Paris, institution majeure de la peinture de l'époque, ces jeunes artistes
commencent à se regrouper pour peindre et discuter. Parmi ces pionniers, on
compte notamment Claude Monet, Pierre Auguste Renoir, Alfred Sisley, Frédéric
Bazille, Camille Pissarro, Paul Cézanne et Armand Guillaumin.
Tel le groupe fondé en 1874 par Monet, Claude constitue un groupe d’artistes. Zola
l’annonce au chap. 1 : « ils avaient
réalisé leur rêve : se retrouver à Paris pour le conquérir »
Ainsi autour de Claude Lantier et de Pierre Sandoz se regroupent
d'autres personnages qui incarnent les différents domaines artistiques :
l'architecte Dubuche, les peintres Bongrand, Fagerolles et Gagnières ; les
sculpteurs Mahoudeau et Chambouvard, et le critique Jory.
Ce groupe de jeunes gens veulent révolutionner l'art de leur temps :
peintres, sculpteurs ou écrivain poursuivent un même but : renouveler la
création, faire des œuvres exprimant leur temps, un temps que la science et les
techniques ont transformé.
Le groupe se réunit chez Sandoz ou au café Baudequin, tels les
impressionnistes le faisaient chez Manet, ou au café Guerbois. Le café représente un lieu d'effervescence artistique,
presque autant que les ateliers, il est un lieu de formation, un espace de
discussion où se forgeaient les convictions communes, comme on peut le voir
dans l’Œuvre.
Citations pp 99,102
Les jeudis chez Sandoz :
Tous les jeudis, l’écrivain Sandoz réunit sa bande d’artistes, constitué
de ses amis d’enfance.
Les soirées de cette bande d’artistes sont toujours animées par les grandes
discussions de ces jeunes gens, révoltés et unis autour d’une même idée : la nécessité
de faire triompher la réalité brute et d’en finir avec le romantisme.
Citations pp 77,105, 107
On peut également noter que Claude,
artiste génial mais impuissant, héritier des tares familiales des Macquart, qui
met fin à ses jours en se pendant devant sa toile, est un personnage composite, une création
complexe où se mêlent plusieurs images d’artistes impressionnistes : Cézanne, Manet,
ou encore Monet.
B) Expositions et Salons (Salon
des Refusés et Salon officiel)
En 1863, l'empereur Napoléon III décrète la tenue d'un Salon des Refusés
regroupant les œuvres n'ayant pu être présentées au salon de Paris. C'est là
qu'est présenté le Déjeuner sur l'herbe de Manet, qui fait scandale, car il
représente une femme nue dans un contexte contemporain. Les critiques sont très
violentes.
Devant les refus successifs, en 1867 et 1872, d'organiser un autre salon
des Refusés, un groupe d'artistes parmi lesquels Monet, Renoir, Pissarro,
Sisley, Cézanne, Berthe Morisot et Edgar Degas décident de constituer la
Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs en avril 1874
pour organiser leurs propres expositions de 1874 à 1886, dans l'atelier du
photographe Nadar.
Une fois encore, le groupe essuie des critiques très violentes. Ainsi,
un article du critique Louis Leroy dans
la revue le Charivari, dans lequel il tourne en dérision le tableau de Monet
intitulé Impression soleil levant,
donne au mouvement son nom :
« Impressionnisme ». Le terme est bientôt repris par le public et par
les artistes eux-mêmes.
Les Salons sont consacrés à deux chapitres du roman, d’abord le Salon
des Refusés, avec l’exposition de Plein air,
puis le Salon Officiel avec L’Enfant mort.
On se souvient en effet que de jeunes artistes, parmi lesquels Monet,
Renoir, Sisley, Degas, Berthe Morisot, Pissarro et Cézanne, lassés d'être
exclus du Salon, décidèrent de se regrouper au sein d'une exposition
indépendante.
On retrouve dans la description
du "Salon des Refusés" des toiles qui évoquent aussi le Salon de 1865
et la première exposition impressionniste de 1874. La toile de Claude, Plein air, est en effet une synthèse du Déjeuner sur l'herbe (1863) et de l’Olympia (1865), deux tableaux de Manet. Les
rires qui accueillent Plein Air rappellent d'ailleurs le scandale du Déjeuner sur l‘herbe.
Chap 4 pp 147,153 salon refuses
Chap 10 salon officiel
. Zola fait ici aussi preuve d’un talent d’observateur, en dépeignant
les réactions du public, qui montrent ce que subissaient les impressionnistes à
l’époque.
Dans le salon règne une atmosphère très particulière avec un public rendu très curieux par l’attrait du
changement, attiré par le nouveau mais pas encore prêt au changement.
C) Deux partis pris différents au sein
du groupe
Pour ces raisons, de nombreux conflits existent au sein du groupe.
Ainsi, Degas continue à affirmer la domination du dessin par rapport à la
couleur, et se refuse à peindre en plein air. Renoir quitte le mouvement au
cours des années 1880, avant de le rejoindre à nouveau. Édouard Manet lui-même,
qui fut l'un des fondateurs du groupe, se refuse à exposer ses œuvres avec les
autres impressionnistes, préférant continuer à insister auprès du Salon de
Paris.
Cézanne, Renoir, Sisley et Monet quittent peu après les Expositions impressionnistes
pour le Salon. Le groupe des Impressionnistes finit par se séparer en 1886
lorsque Paul Signac et Georges Seurat montent une exposition concurrente. La
vente des toiles à cette époque montre le désintérêt de l'État et des marchands
pour les œuvres impressionnistes, puisque les rares collectionneurs intéressés
(Georges de Bellio, Gustave Caillebotte, Jean-Baptiste Faure, etc.) achètent
initialement plusieurs chefs-d'œuvre à des prix dérisoires.
Bongrand, dans l’Œuvre, prend le parti des
« intransigeants » qui prônèrent la rupture totale avec le Salon,
interdisant même à ceux qu'ils accueillaient de présenter leurs œuvres au jury
officiel.
Quant au personnage de Fagerolles, tel Renoir qui rejoint le salon
officiel de 1878, et n'envoie rien à la quatrième exposition impressionniste, il se
résigne à discipliner son pinceau.
Le groupe des impressionnistes se fissura notamment pour des raisons
politiques avec l’affaire Dreyfus qui suscita des réactions opposées parmi ses
membres, la fin de l’aventure est marquée par la mort de Manet en 1883 son
enterrement est la dernière réunion du groupe de peintres impressionniste, quand à l’Œuvre, les
caractères, les jalousies et les situations matérielles mirent fin aux amitiés
et l’enterrement de Claude peut en être le symbole.
D) les débuts du marché de l’art
Malgré tous ces désaccords, les artistes impressionnistes gagnent peu à
peu les faveurs du public et de leurs pairs, notamment grâce à l'aide de Paul
Durand-Ruel, premier marchand de peinture. Celui-ci mise toute sa carrière sur
les impressionnistes, achète presque tous leurs tableaux, accumule des dettes,
mais fait finalement fortune en faisant des expositions à Londres et New York.
Avec l'essor économique, la peinture va connaître également une grande
évolution libérale, en ce sens qu'elle n'est plus seulement, comme par le
passé, le fait de "peintres de cour" au service de quelques princes
ou puissances temporelles qui leur commandent des œuvres, mais de plus en plus
le fait d'artistes indépendants vendant leurs tableaux à des acquéreurs.
L'art va rentrer désormais, au même titre qu'un autre produit, dans une
logique de marché.
Ainsi, les personnages de Malgras et Naudet dans l’Œuvre, qui font
fortune en revendant des toiles, témoignent de ce commerce prospère en
plein essor, notamment à la fin du roman, le premier incarnant la vielle école dans ses choix
artistiques et le second introduisant la spéculation boursière dans le marché
de l’art.
Alors que le mouvement impressionniste n'a duré qu'une dizaine d'années
et a fait éclater le marché de l'art, il s'oriente dans les années 1890 vers de
nouvelles attitudes picturales, traditionnellement considérées comme
postimpressionnistes, amenant leurs tableaux à dominer le marché en termes de
records de prix, et ce jusque dans les années 1990.
II. L’impressionnisme, mouvement pictural
A)
Les procédés de peinture impressionniste
Des
nouveautés matérielles
L'invention d'un chevalet plus léger et des tubes de peinture permet aux
impressionnistes de sortir de leur atelier. Cette facilité les amène également
à voyager. Ils prennent le train pour aller peindre des paysages dans toute la
France mais également en Italie, en Angleterre ou en Hollande.
La couleur
Ils admirent tous Delacroix qui utilise sur ses toiles des couleurs pures. Ils
mélangent peu les couleurs et préfèrent utiliser les primaires et leurs
complémentaires. Il n'y a plus de mélanges. Leur palette est claire pour peindre la lumière et ses
effets sur le paysage. Ils sont fascinés par les changements de couleur en
fonction des heures de la journée, des saisons. Même les ombres sont
représentées par des couleurs vives; c'est la juxtaposition de ces couleurs qui
produit une impression d'ombre. L'image se compose dans les yeux du spectateur.
La
lumière pour les impressionnistes
Le point commun entre tous ces peintres rebelles de
la fin du XIXè siècle, c'est
leur approche picturale. Ils accordent tous une place très importante à l'effet
produit par les variations constantes et imperceptibles de la lumière sur la
nature. C'est la raison pour laquelle les impressionnistes peignent dehors. Les
peintures ne sont plus réalisées dans des ateliers obscurs, où la lumière ne
rentre pas. Les impressionnistes ne cherchent plus la précision, mais plutôt
les formes créées par la lumière.
L'objectif est de capter l'impression fugitive
d'une scène extérieure. Par exemple, quand Monet décide de peindre une série
sur des meules de foin en Normandie, il ne pense réaliser que deux tableaux.
Mais il comprend vite que ces meules se transforment au long de la journée,
avec les changements de lumière. Monet finit par peindre quinze fois les meules
de foin! Le même phénomène s'est produit avec la fameuse série des Nymphéas qui
compte cinquante toiles.
La touche
La touche impressionniste
est rapide, en virgule. Elle correspond au caractère instantané de leur
peinture. Pour reproduire une sensation immédiate, les
impressionnistes définissent peu à peu l'espace par une décomposition des
couleurs. La fragmentation des coups de pinceaux suggère les formes et les
volumes. On ne voit plus le modèle, mais on l'imagine. Il n'est plus qu'une
vision abstraite, irréelle.
Les sujets
Leurs contemporains sont choqués par leur nouvelle façon de peindre mais aussi
par le choix de leurs sujets. Autour de Claude Monet, ils commencent à peindre
des paysages, genre mineur pour l'Académie. Ils admirent les tableaux du
peintre anglais William Turner. Ils souhaitent représenter la vie moderne
comme Manet. Ils peignent la ville, les gares, les usines, symboles de la
modernité, mais aussi les loisirs de la société. Renoir peint les guinguettes
où l'on danse, Toulouse-Lautrec les cabarets et Degas l'Opéra. Il représente
tous ceux qui s'y retrouvent: les musiciens, les spectateurs, mais surtout les
danseuses sur scène, lors de leurs cours, dans les vestiaires. Les
impressionnistes ne peignent pas de scènes mythiques, religieuses ou
historiques comme leurs prédécesseurs. Ils préfèrent peindre les gens dans leur
vie quotidienne et la nature. En général, les reflets de l'eau sont l'un des
thèmes principaux des peintres impressionnistes, comme les jeux d'ombres et de
lumière créés par les rayons de soleil dans les arbres.
Le
caractère de chaque impressionniste
Cependant, chaque peintre garde une touche
personnelle. Selon un critique d'art, «Monet jouissait d'une technique plus
habile et c'était le plus audacieux, Sisley le plus harmonieux et le plus timide,
Pissarro, le plus réel.» Et chaque peintre a des sujets favoris: pour Monet, ce
sont les nénuphars, ces fleurs d'eau vertes, larges et typiques des jardins
japonais. On les trouve de la série Nymphéas. Pour Sisley, ce sont le
brouillard, la neige et l'eau, pour Cézanne, les villages. Avec
l'impressionnisme, la peinture n'est plus une représentation froide et sans vie
d'un modèle. Elle commence à vivre à travers les sentiments et les émotions du
peintre. En résumé, la révolution impressionniste c'est de peindre ce que nous
voyons ; il faut oublier notre vision classique du monde.
B) Le Déjeuner sur l’herbe
En 1863, Manet compose « Le
Déjeuner sur l’herbe ». Cette œuvre est inspirée du jugement de Pâris de Raphaël et du concert champêtre de Giorgione. Mais l’interprétation est très
révolutionnaire et anticonformiste. Exposée au Salon des Refusés (groupement d’artistes opposés à l’académisme
ambiant), le tableau fait scandale. Le public aurait accepté cette œuvre si
elle avait reproduit une scène historique ou allégorique. Mais ce spectacle
transposé dans la réalité engendre de vives critiques.
La composition est très
rigoureuse : à l’intersection des diagonales se trouve le personnage central
autour duquel gravitent les autres éléments du tableau.
Deux hommes habillés, non sans
une certaine élégance, figurent à côté d’une femme entièrement nue.
A l’arrière-plan, une seconde
femme située au centre de la scène se baigne. La transparence claire de sa
tunique donne profondeur et luminosité à l’atmosphère. Son attitude et son
corps à peine voilé annoncent la révélation du nu.
Le spectacle est représenté avec
réalisme; d’autant plus que les personnages sont reconnaissables : le nu est le
modèle de Manet (Victorine Meurent) ; l’homme au centre le sculpteur Hollandais
Ferdinand Seenhoff, la figure de profil, le frère du peintre.
Le panier renversé au premier
plan nous introduit dans l’espace et les couleurs de la scène. Il s’appuie sur
les habits et le chapeau aux tons blancs, bleus et ocres.
Manet cherche une représentation
claire et définie des objets. Il supprime
les demi-teintes et le sens des volumes pour les personnages du premier
plan. Il associe des tons lumineux, ocres, verts, blancs et des taches rouges
pour l’environnement.
Le Déjeuner sur l’herbe
est la première manifestation de ce qu’allait être l’impressionnisme. Outre les
nouvelles techniques employées, la volonté de peindre du nu et de peindre en
plein air est tout à fait novatrice.
L’histoire de l’art
est souvent ponctuée
de scandales :
ce tableau en
est le plus bel
exemple. Refusé au
Salon officiel par
le jury, il
est exposé, avec l’autorisation de
Napoléon III, au
Salon des refusés
en 1863 où il soulève une vague de protestations. Les
critiques et le public ne tolèrent pas qu’une femme puisse
se trouver nue
au milieu d’hommes
habillés. On juge
ce tableau «obscène », « pornographique », il choque l’esthétisme,
c’est-à-dire le goût artistique de l’époque. Le nu féminin dans la nature est
pourtant un sujet classique dans
l’art, mais d’habitude,
les femmes nues
sont des nymphes ou
des déesses, héroïnes
de scènes mythologiques, ce qui est beaucoup
plus acceptable... De
plus, cette femme « ordinaire
» regarde le spectateur, comme si elle l’invitait à
entrer dans le tableau : une véritable incitation à la débauche ! A
force de scandale, on ne voyait plus en Manet que le provocateur. Pourtant,
au-delà du scandale, ce tableau est très novateur. Emile Zola l’a bien compris, comme on peut le voir
dans son Edouard Manet, étude
biographique et critique parue en
1867 :
« Le Déjeuner sur l'herbe
est la plus grande toile d'Edouard Manet, celle où il a réalisé le rêve que font
tous les peintres : mettre des figures de grandeur naturelle dans un
paysage ».
« Cette femme nue a scandalisé le public, qui n'a vu
qu'elle dans la toile ».
« Ce qu'il faut voir dans le tableau, ce n’est pas un
déjeuner sur l'herbe, c'est le paysage entier, avec ses vigueurs et ses
finesses, avec ses premiers plans si larges, si solides, et ses fonds d'une
délicatesse si légère; c'est cette chair ferme modelée à grands pans de
lumière, ces étoffes souples et fortes, et surtout cette délicieuse silhouette
de femme en chemise qui fait dans le fond, une adorable tache blanche au milieu
des feuilles vertes, c’est enfin cet ensemble vaste, plein d'air, ce coin de la
nature rendu avec une simplicité si juste, toute cette page admirable dans
laquelle un artiste a mis tous les
éléments particuliers et rares qui étaient en lui ».
Avec cette Etude, Zola résume admirablement ce
nouveau mouvement pictural qu’est l’impressionnisme.
Zola recrée le scandale de la toile de Manet avec Plein air, qui ne passe pas inaperçu au
Salon des Refusés. Le tableau de Claude provoque
l’hilarité générale, et les plus vives critiques du public outré. On retrouve
dans Plein air certaines
caractéristiques du Déjeuner sur
l’herbe : la présence d’une femme nue, le monsieur en veston, le cadre
naturel, qui justifie le titre du tableau.
Mais le tableau de Claude ne
s’apparente pas au Déjeuner sur l’herbe
uniquement par son sujet : le fils de Gervaise est un véritable
impressionniste, comme Zola le fait transparaître au fil du roman.
C)
Les procédés de
Claude
Tout au long du roman, Zola décrit la
peinture de Claude, sa vision artistique. L’impressionnisme est donc
omniprésent dans l’Œuvre, comme le
montrent ces quelques citations :
« Jamais elle n’avait vu une si terrible
peinture, rugueuse, éclatante, d’une violence de tons qui la blessait comme un
juron de charretier » (chap 1)
Dans ce passage on reconnaît la touche
impressionniste, fragmentée.
« Comprends-tu, il faut peut-être
le soleil, il faut le plein air, une peinture claire et jeune, les choses et
les êtres tels qu’ils se comportent dans la vraie lumière, enfin je ne puis pas
dire, moi ! Notre peinture à nous, la peinture que nos yeux d’aujourd’hui
doivent faire et regarder. » (chap 2)
Le travail de la lumière est un point
central de la peinture impressionniste, et Zola y fait référence à de
nombreuses reprises dans le roman.
« Il la peignit à vingt reprises,
vêtue de blanc, vêtue de rouge au milieu des verdures, debout ou marchant, à
demi allongée sur l’herbe, coiffée d’un grand chapeau de campagne, tête nue
sous une ombrelle, dont la soie cerise baignait sa face d’une lumière
rose » (chap 6)
De nouveau, Zola étudie la lumière et
ses variations, et la scène se déroule en pleine nature. On peut voir dans ce
passage une référence à un tableau de Monet, intitulé Femme à l’ombrelle.
« Après cette année de repos en
pleine campagne, en pleine lumière, il peignait avec une vision nouvelle, comme
éclaircie, d’une gaieté de tons chantante. Jamais encore il n’avait eu cette science des reflets, cette sensation
si juste des êtres et des choses, baignant dans la clarté diffuse. Et,
désormais, elle aurait déclaré cela absolument bien, gagnée par ce régal de
couleurs, s’il avait voulu finir davantage, et si elle n’était restée interdite
parfois, devant un terrain lilas ou devant un arbre bleu, qui déroutaient
toutes ses idées arrêtées de coloration. Un jour qu’elle osait se permettre une
critique, précisément à cause d’un peuplier lavé d’azur, il lui avait fait
constater, sur la nature même, ce bleuissement délicat des feuilles. C’était
vrai pourtant, l’arbre était bleu ; mais, au fond, elle ne se rendait pas,
condamnait la réalité : il ne pouvait y avoir des arbres bleus dans la
nature » (chap 6)
Ce passage est très
riche, car on y trouve aussi bien la présence de la lumière, que celle de la
nature, mais on y trouve surtout toute la vision impressionniste du monde
: peindre selon ce que l’on voit, et non selon les conventions.
« L’idée qu’il
n’avait peut-être pas choisi, là-bas, sur la nature, le meilleur éclairage, le
tourmentait. Peut-être un effet de matin aurait-il mieux valu ? […]
aurait-il dû choisir un temps gris ? […] Sous une tombée de neige tardive,
[…] Il la vit, aux premiers soleils, […]
un jour de fin brouillard, […] puis, ce furent des pluies battantes, […] des
orages, […] des grands nuages de cuivre » (chap 9)
Une fois encore, ce
passage témoigne de l’importance des effets produits par la lumière dans la
peinture impressionniste, et la place accordée à cette même lumière dans l’Œuvre. Cette représentation d’un même
paysage urbain à différentes saisons fait bien entendu penser à La Gare Saint-Lazare, série de douze toiles peinte par Monet, représentant la gare parisienne de Saint-Lazare.
« C’est
curieux comme tu as une drôle de peau ! Elle absorbe la lumière,
positivement…Ainsi, on ne le croirait pas, tu es toute grise, ce matin. Et
l’autre jour, tu étais rose, oh ! d’un rose qui n’avait pas l’air vrai…
Moi, ça m’embête, on ne sait jamais » (chap 9)
Ici, la lumière est
encore la principale préoccupation de Claude, et ce passage souligne l’effet
instantané de sa peinture : la couleur de la peau de Christine change avec
la lumière, le peintre n’arrive pas à définir une couleur exacte, puisque cela
varie sans cesse.
« En effet, le
coup de clarté, peu à peu introduit dans la peinture contemporaine, éclatait
enfin. L’ancien Salon noir, cuisiné au bitume, avait fait place à un Salon
ensoleillé, d’une gaieté de printemps. C’était l’aube, le jour nouveau qui
avait pointé jadis au Salon des Refusés, et qui, à cette heure, grandissait,
rajeunissant les œuvres d’une lumière fine, diffuse, décomposée en nuances
infinies. Partout, ce bleuissement se retrouvait, jusque dans les portraits et
dans les scènes de genre, haussées aux dimensions et au sérieux de l’histoire.
[…] De loin, à chaque pas, on voyait un tableau trouer le mur, ouvrir une
fenêtre sur le dehors. Bientôt, les murs tomberaient, la grande nature
entrerait, car la brèche était large, l’assaut avait emporté la routine, dans
cette gaie bataille de témérité et de jeunesse » (chap 10)
Pour terminer, ce
passage reprend les caractéristiques de
l’impressionnisme, introduit dans le roman par Plein air et dans la réalité par le Déjeuner sur l’herbe. La lumière est encore une fois omniprésente,
avec le fameux « coup de clarté » qui s’est répandu dans la peinture.
Le « bleuissement » auquel Zola fait référence est une des
caractéristiques principales de la peinture de Claude. De plus en plus, les tableaux
du Salon représentent la nature, comme le montre la phrase « De loin, à
chaque pas, on voyait un tableau trouer le mur, ouvrir une fenêtre sur le
dehors ».
D) L’écriture zolienne, une écriture à l’image de
l’impressionnisme
Les porte-paroles de Zola dans L’œuvre sont aussi bien un écrivain
qu’un peintre. A l’évidence, les liens étroits de Zola avec des peintres,
surtout dans sa jeunesse, ont déterminé sa conception de l’écriture. Les
sujets, la technique, la tonalité de la nouvelle école picturale influencent
les techniques de l’écrivain.
Il existe un rapport entre les tableaux impressionnistes et les
romans de Zola, son style faisant penser aux méthodes descriptives chez ces
peintres. De plus, les thèmes de la philosophie naturaliste apparaissent comme
une source d’inspiration pour les peintures.
Les peintres, comme Zola, prennent des sujets du monde quotidien.
Dans l’Œuvre, le personnage
qui prend en charge les descriptions est souvent Claude dont la sensibilité de
peintre joue un rôle déterminant. Tout comme un peintre, Zola fragmente la
réalité, sélectionne des éléments.
En outre, tout comme les peintres impressionnistes, Zola omet
souvent le détail au profit de l’impression générale : il recourt à des noms
abstraits ou encore à des pluriels qui favorisent la suggestion et évitent tout
identification précise : « Là, une plaine s’étendait, avec le moutonnement des
petits oliviers grisâtres »
La parataxe énumérative est l’équivalent stylistique de la
juxtaposition de touches colorées caractéristiques des impressionnistes :
« Le soleil les accompagnait dans cette
gaieté vibrante des quais, la vie de la Seine, la danse des reflets au fil du
courant, l’amusement des boutiques… ». Et souvent, une vive impression jaillit
d’un fond flou
Et on peut considérer l’emploi de la tournure peu recherchée «
c’était » qui revient souvent comme la transposition stylistique d’une
impression passagère.
La notion de la couleur est omniprésente : « Sous le soleil,
couleur de blé mûr, les rangées de marronniers avaient des feuilles neuves,
d’un vert tendre, fraîchement verni » et les couleurs se mêlent aux parfums et
les sens sont en éveil : « les fleurs en pot des grainetiers (...) tout ce
tapage de sons et de couleurs qui fait du bord de l'eau l'éternelle jeunesse de
la ville. »
Les effets colorants de la lumière solaire sont aussi souvent
évoqués.
Au chapitre IV, on découvre la description de ces couchers de
soleil : « Le soleil les accompagnait dans cette gaieté vibrante des quais ».
Il nous semblerait presque que la Seine, le soleil, les quais soient
personnifiés ; ils prennent vie et Zola dessine des métaphores enflammées qui
nous dépeignent un Paris flouté par une vision impressionniste.
Claude affirme qu'il ne veut représenter que la vie : « Ah! La
vie, la vie! La sentir et la rendre dans sa réalité, l'aimer pour elle, y voir
la seule beauté vraie, éternelle et changeante ».
Tous ces "tableaux de Paris" semblent prendre vie, les
descriptions pittoresques sont parfois presque épiques : « La Seine
s'enflammait ». Cette Seine qui, au soleil couchant, semble s'embraser est
décrite de telle sorte qu'elle pourrait nous rappeler certaines toiles de Monet
qui aimait particulièrement peindre ces paysages urbains.
La Seine, que ce soit à Paris ou à Bennecourt, tient un rôle
important dans l'impressionnisme de Zola.
On constate, dans la description du soleil se couchant sur la
Seine, que le pittoresque de ce tableau est accentué par l'onirisme et l'épique
du tableau représenté : « A chacune de leurs promenades, l'incendie changeait,
des fournaises nouvelles ajoutaient leurs brasiers à cette couronne de flammes
»
C'est une vision très novatrice de la Seine qui devient le symbole
du dynamisme et de la vitalité de Paris, mais également de la brutalité de
l'acharnement du peintre Claude à être impressionniste et perfectionniste.
L'espace et la manière dont Zola le concrétise dans son écriture
et joue avec les lumières contribuent à créer des effets pittoresques et des contrastes
de lumières sur cette Seine tant animée.
Il est cependant nécessaire de préciser que, tout en se faisant
impressionniste, l’écriture de Zola reste empreinte d’un certain naturalisme.
Tout à fait à l’opposé de l’effet de spontanéité recherché par les
impressionnistes, une composition très structurée se profile dans le roman.